• Comme des poissons dans l'eau     sept-nov. 2009

     

    Gaby Zryd-Sauthier

    Chronique d'une V.D.I.   (Vieille Dame Indigne)

     

     

    Fin septembre 2010, Martigny a inauguré son bassin de natation couvert. Le soir, depuis la rue, on voit passer les baigneurs devant les vitres comme des poissons dans un aquarium. On se surprend  à imaginer une distribution de nourriture, avec les têtes des nageurs, devenus cyprins dorés, qui se tourneraient, bouches béantes, vers nos mains pleines de paillettes nourrissantes.

    Et si on tapait sur la vitre?

    Soyons raisonnables: nous ne sommes pas à Frutigen, à la Maison tropicale, devant des poissons de plus d'un mètre. Vous n'y êtes pas encore allés? Ne manquez pas de le faire. Voici la merveille en résumé: de l'eau chaude récupérée au percement du tunnel du Loetschberg, une étude scientifique pour l'élevage bio d'esturgeons, et une forêt tropicale pour déguster leur caviar. Sous vos yeux, la pêche à la cage ramène une bonne dizaine de pièces. On rêve de se faire prendre en photo, vêtue en pêcheur d'Islande, ployant sous vingt kilos de prise. Une photo qui améliorerait votre image, quand vous vous cramponnez au mur du bassin de Martigny, espace non-nageurs...

    A Frutigen, malgré les défenses, il ne m'a servi à rien de taper sur la vitre pour faire  copain-copain. Les fournisseurs de caviar vous ignorent. Ils s'ignorent même entre eux, et nagent impassibles.

     

    Rien de tel quand vous entrez dans le Bassin des Ecoles. Notre groupe de têtes flottantes à la surface de l'eau se dévisage avec intérêt. Demain, il faudra faire un effort en ville pour associer un corps à cette moustache de Gaulois, une démarche à  ces sourcils de Madone.

    Hier, à la Fondation Gianadda, une élégante est venue vers moi:

    - Me reconnaissez-vous,  dit-elle innocemment, maintenant que j'ai des habits?

    ...Aïe... dans un état policier avec des tables d'écoute, on perdrait sa réputation pour moins que ça...

    Mais dans notre bonne ville, en ce 19 novembre 2010 où Mécénat, Culture et  Administration fraternisaient pour décerner le Prix de la Ville de Martigny à Léonard Gianadda, les discours et les promesses captaient toute l'attention: nous aurions bientôt, en ville, le buste d'un empereur et le buste de Jules César.

    On se réjouit d'observer les écoliers face au buste du conquérant des Gaules avec son nez cassé. Mais depuis que l'Art et l'Archéologie ont pris pied à Martigny, les enfants sont mieux renseignés, et moins naïfs que je ne l'étais à l'époque, soutenant à l'inspecteur que le pauvre Jules César avait eu, dans sa jeunesse, la figure rongée par la lèpre...

    Gaby Zryd-Sauthier, Chronique d'une V.D.I, sept-novembre 2010

     

    G.Z.S( copyright septembre 2010. Toute utilisation de textes ou d'extraits n'est permise qu'avec l'autorisation de l'auteur)

     

     


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    Gaby Zryd-Sauthier

    Chronique d'une V.D.I.  ( Vielle Dame Indigne ) 

    Martigny c'est ma ville

     

    Si loin qu'il soit dans le monde, un Martignerain trouve toujours où pointer sur l'atlas la petite virgule du Rhône qui se recourbe jusqu'au Léman: là, dans ce crochet, c'est Martigny.

    Il rajoute, pour les lettrés: Octodurus, Forum Claudii.

    Il y aura toujours quelqu'un pour citer Jules César et ses légionnaires qui ont vaincu les Véragres après des luttes épuisantes.

    Rétablissons les faits.

    Futés comme nous le sommes tous ici, nos ancêtres les Véragres ont rué pour la forme contre les boucliers des envahisseurs. Ils ont surtout visé les lances et les statuettes. En les fondant, on pourrait faire de beaux piochards.

    Ensuite, ils se sont mis au parfum du jour: Octodure, carrefour du tourisme.

    Juste un peu de gaucherie pour inciter les légionnaires à les civiliser, juste assez de souplesse pour pousser la bourgade dans la faveur impériale, et devenir Forum Claudii.

    Pourtant, à propos de leurs petites vaches, nos ancêtres ont été inflexibles.Ils ont caché leurs génisses dans les bosquets de La Combe et du Mont d'Ottan. Ces Romains et leur taureau tricorne, vous imaginez les dégâts?

    C'est ainsi qu'ils nous ont transmis en héritage une race d'Hérens intacte, intelligente. Tellement intelligente que Toepffer a pu faire des comparaisons que je vous laisse déguster ci-dessous:

     

     

      

     

                     

     

     

     "...Entre Martigny-la-Ville et Martigny-le-Bourg, on ne manque pas de rencontrer des crétinisés à choix. Cette fois-ci, ce sont deux particuliers qui ont réuni en commun leurs facultés aux fins de conduire une vache; mais, en vérité, on dirait que c'est la vache qui les mène paître... "

     

    Il y a de quoi être vexés, non?

    Retrouvons notre bonne humeur, car les temps ont changé.

    En 2005, nos vaches sont montées à Paris. Menées par une dame de Martigny. Elles ont serré la patte au Président.

     

    G.Z-S( copyright mars 2009. Toute utilisation des oeuvres ou d'extraits n'est permise qu'avec l'autorisation de l'auteur)

    R. Toepffer in Voyage autour de Mont-Blanc.  Troisième Journée

     

     


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  •              Gaby Zryd-Sauthier  Chronique d'une V.D.I.   (Vieille Dame Indigne)

     

    Martigny 26 mars 2009

     

    Grange-écurie: adieu 

     

     Petit dialogue devant la grange-écurie depuis longtemps vide:

     - Par les temps qui courent à la ruine, si on y revenait pour vivre avec vaches et poules?.

    - Gare aux ordonnances! Local trop obscur, trop petit, interdit aux vaches et cochons..

    - Laisse-moi y installer un coin pour rêver.

    - Un coin pour persifler aussi.

     

    C'est là qu'ont été écrits les deux sonnets suivants, deux sonnets vaches.

     

    Premier sonnet

    sur un air gai

     

    On a tout bien prévu, a déclaré le père

    On vivra juste, juste... On met l'argent du lait

    Pour payer les études à Jean et Marie-Pierre.

    Il faudra ramer dur. Dites si ça vous plaît.

     

    - J'osais pas l'espérer, même bonne écolière

    J'y pensais jour et nuit, ce rêve m'étouffait

    Merci de nous offrir, à moi et à mon frère

    La chance d'étudier. Merci pour ce bienfait.

     

    Ils ne s'embrassent pas, ils sont secs en famille.

    Le fils a réfléchi et son regard pétille:

    -On parlera plus tard, je dois rentrer le foin

     

    -Moi je vais au verger, a décidé la fille

    Il me faut le plein air et du soleil qui brille

    Pour dire à tout venant ma joie du lendemain.

              

                    ********

     

    Deuxième sonnet

    sur un air vache

     

    J'avais tout bien prévu, a soupiré le père,

    Sauf l'avis d'un expert qui n'est pas satisfait.

    L'étable est trop obscure, et pas réglementaire.

    Le troupeau doit pouvoir respirer à souhait.

     

    Il faudra s'endetter. Il faudra tout refaire.

    Gare aux risques encourus si tout n'est pas parfait!

    J'ai parfois l'impression que c'est moi qu'on veut traire

    Que je ne suis qu'un âne et qu'on rit quand je brais.

     

    - Tu peux compter sur nous, c'est normal qu'on s'engage.

    Pour les premiers gros frais, il y aura mes gages.

    Je vais prendre un emploi dans le supermarché.

     

    En sous-sol au super... Une taupe au travail!

    Chaque soir en sortant j'irai voir le bétail:

    - Comment était le ciel? Le soleil a brillé?

     

                   ********

     

    G.Z.S  ( copyright mars 2009. Toute utilisation du texte ou d'extraits n'est permise qu'avec l'autorisation de l'auteur)

     

     

      

     

     

     

     

     


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  • Gaby Zryd-Sauthier

     

    Chronique d'une V.D.I. (Vieille Dame Indigne)

     Mars  2009

     

    Martigny, Place Centrale

     

    La Place centrale est au centre.

    Cette précision n'est pas inutile dans une ville assez brouillée avec la géométrie pour n'avoir qu'un seul coin: Le Coin de la Ville.

    Depuis quelque temps, sur les programmes d'urbanisme, il est estampillé historique: Coin de la Ville historique. 

    Notre terreau culturel, c'est les Romains. A peine les derniers légionnaires eurent-ils montré les semelles de leurs sandales que notre bourgade se mit à trier les restes des envahisseurs, pour les adapter ou les adopter.

    De Forum Claudii , les Octoduriens gardèrent l'habitude de mettre les points sur les i, plutôt deux fois qu'une.

    Ils gardèrent aussi les cultes importés. Les fouilles ont mis au jour les statuettes des dieux vénérés: un boeuf énorme, une Vénus minuscule.

    (Je ne me hasarderai pas à conclure qu'en notre ville, le culte du beefsteak a toujours primé sur l'autre.)

    Puis, ils enfouirent la cuisse de Jupiter, pour empêcher quelque ambitieux de se réclamer d'une ascendance aussi illustre.

    Continuant  sur cette lancée démocratique, le Martignerain moderne ignore les castes et le culte de la personnalité.

    Nos places ne doivent rien à personne. Aucun héros, juste des informations:

    Place du Midi, Pré-de-Foire. Place de la Gare.

    Une flambée enthousiaste autour de Courbet nous a valu, pour quelque temps, la place de La Liberté. L'artiste était visionnaire, sa Liberté sans bras ni jambes végète maintenant sous les fenêtres du contrôle des habitants.

     

    Mais aujourd'hui, alerte! On s'en prend à notre Place Centrale. L'heure est grave. Qu'enlever? Que rajouter? Que permettre? Que tolérer?   

    Je fais campagne pour qu'on ne touche pas au Kiosque à musique et à ses mystérieux bruits d'eau dans la cave.

    Dans son état actuel, le petit kiosque à musique de la Place est le parfait symbole de l'habileté des Martignerains à concilier l'utile et l'agréable:

    ... un podium de musique pour satisfaire aux besoins des mélomanes,

    ... avec un sous-sol pour satisfaire aux besoins tout court.

     

    G.Z.S  ( copyright février 2009. Toute utilisation des textes ou d'extraits n'est permise qu'avec l'autorisation de l'auteur).

     

     

     

     

     


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  • Gaby Zryd-Sauthier

     

    Chronique d'une V.D.I  (Vieille Dame Indigne)

     

    Martigny,  Noël 2008

     

     

     

    Conte de Noël

    avec trois bonbons et un jugement téméraire.

     

    - Ce sera pour la crèche, dit le petit enfant en glissant trois caramels dans sa poche.

    (Les plus grands,  à l'école, organisent des dons qu'ils déposent à l'église.)

    Le chemin de l'église est long, la gourmandise aiguë. Le Petit Jésus se contentera de deux bonbons.

    Le sermon est interminable. Plus qu'un seul caramel pour l'Enfant-roi. Au Credo, nouvelle tentation. Le papier crisse dans la poche, le pouce et l'index ramènent un fondant rose à la hauteur des yeux.

    Mangera, mangera pas? La générosité l'emporte, mais on sait faire la part des choses: une petite langue rose lèche le bonbon avant de le lâcher dans la tire-lire aux offrandes.

    - Crapaud de gamin! ronchonne le soir le marguillier en lavant la monnaie poisseuse. Faire une farce pareille juste avant Noël. Il ne l'emportera pas en paradis!

    Qui sait, marguillier, qui sait?

     

     

     

    G.Z.S.   ( copyright  Noël  2008. Toute utilisation des textes ou d'extraits n'est permise qu'avec l'autorisation de l'auteur)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     


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